Un Prêté pour un Rendu

Dialogue Maïeutique



Dans bien des langues, Lucien l’âne mon ami, on trouve des expressions particulières qui résument, condensent certaines situations, certaines expériences. C’est le cas de celle-ci qu’on trouve à la fin de la chanson et qui lui tient lieu de titre : un prêté pur un rendu. Ma grand-mère l’utilisait déjà fréquemment et à bien y réfléchir, je me rends compte que c’était dans un sens légèrement différent de celui qui est employé ici.

Avec tout ça, dit Lucien l’âne, je ne sais ni ce que voulais dire ta grand-mère, ni le sens que cette expression peut avoir ici ; d’autant plus que je ne connais que le titre de la chanson.

Donc, pour en revenir à ma grand-mère qui était une excellente femme au demeurant, reprend Marco Valdo M.I., elle disait cela en parlant d’une revanche ou d’un rétrocession ; soit, on avait rendu coup pour coup ; soit on avait redonné un objet emprunté. Dans le premier cas, elle sous-entendait ou disait carrément : « C’est bien fait pour sa pomme ! », elle (ou il) le méritait bien. Dans le second, elle soulignait la correction de l’acte envisage. Mais ici, le sens comme tu l’as senti est différent. Il s’agit pour le coup de prêter pour recevoir plus en retour ; d’une sorte de transaction commerciale, d’un troc. C’est un renversement de sens, un tour de passe-passe ; mais tu verras de quoi il s’agit tout à l’heure.

Soit, dit Lucien l’âne, mais alors, car finalement, c’est ça qui m’intéresse, que raconte la chanson ? Et s’il te plaît, donne-moi un peu de détails.

Bien, dit Marco Valdo M.I. en souriant. Elle commence avec l’aventure extrêmement désagréable qui est arrivée à une jeune fille qui se rendait en Zinovie pour aller rendre visite à son père hospitalisé, qui devait subir une très lourde opération. En deux mots, à la frontière, on l’arrête, on l’accuse d’espionnage et on l’emprisonne. Elle ne reverra jamais son père. Deux ans plus tard, on l’échange contre un vrai espion zinovien détenu à l’étranger.

« À la frontière, ils l’ont arrêtée.
D’espionnage, ils l’ont accusée.
En prison, ils l’ont emmenée.
Comme traître, ils l’ont condamnée.
Deux ans, ils l’ont gardée. »

Oh, dit Lucien l’âne, quelle malheureuse histoire. Comment a-t-on pu faire ça ? J’ai bien l’impression que cette arrestation et tout ce qui s’en est suivi était préméditée.

Je pense comme toi, dit Marco Valdo M.I., que cette demoiselle était tombée dans un traquenard et dès le départ, devait servir de monnaie d’échange. Cependant, laisse-moi te dire qu’en Zinovie, c’est une affaire des plus banales ; mais c’était une bonne fille et c’était son père et il était mourant… Comment aurait-elle pu faire autrement ? Pour en venir à la seconde partie, c’est manifestement une autre voix que l’on entend, car elle parle de tout autre chose, sans lien direct avec cette histoire de jeune femme prisonnière sorte d’otage à vocation de pièce d’échange. Que dit cette voix anonyme, comme il se doit dans ces rassemblements d’inconnus en Zinovie ? Elle a d’ailleurs toutes les raisons de rester très secrète, car elle s’en prend directement au Guide lui-même et à son insoutenable tendance dictatoriale.

« Dans notre pays muselé,
L’obéissance est réflexe conditionné ;
Une soumission silencieuse impose
Du Guide ne jamais médire
Et chanter la gloire de l’empire. »

En effet, dit Lucien l’âne, pour dire si crûment les choses, il faut certainement avec beaucoup de courage et se garder avec prudence d’être identifié. Mais, comment faire dans un tel régime pour éveiller les consciences, pour simplement faire ressurgir les choses hors de la boue et du fatras où se perdent les jours ?

Eh bien, dit Marco Valdo M.I., je pense que la meilleure preuve que dans ce silence étouffant, la moindre parole vaut de l’or, c’est la férocité avec laquelle les autorités la réprime. Venons-en à la troisième partie et c’est Grand-Mère qui enchaîne en évoquant les voix des temps passés, les voix de tous ceux qui ont subi déjà les mille répressions du régime dans ses précédentes mutations.

« Des millions de voix en chœur
Font une éternelle rumeur.
Les cadavres crient ainsi :
« Que le Guide soit maudit ! »
Et les sbires et les bourreaux
De ce vieil ordre nouveau »

Oui, dit Lucien l’âne, les morts ont de la mémoire, leur séjour est un éternel mémorial, les cadavres crient vengeance et jamais ne se tairont. Même les oubliés, les disparus sans laisser de trace se souviennent et murmurent aux vents leurs mots incandescents – Usque tandem ?

Oui, dit Lucien l’âne, jusque à quand ? Mais ces voix dans la nuit, ces chœurs nocturnes ont le double mérite d’engluer le Guide et tous ses sbires dans une atmosphère délétère et d’appeler au jour un monde où ces gens-là seront enfin dépouillés de leurs ors et de leurs pouvoirs et ainsi rendus inoffensifs à jamais. Mais, et c’est la quatrième et dernière partie, une autre voix qui dénonce l’actuelle puissance zinovienne :

« En Zinovie, le mensonge
Seul est officielle vérité.
Là, les rats masqués rongent
Les derniers bouts de liberté. »

et la collusion qu’entretient avec elle, corruption pour corruption, l’Église qui s’est vendue au pouvoir. Et voici pour conclure, l’expression qui donne le titre à ma chanson :

« Un prêté pour un rendu,
Le prêtre à bon prix s’est vendu. »

Oh, dit Lucien l’âne, corruption, j’aurais plutôt dit prostitution… De toute façon, s’il faut se vendre autant se vendre à bon prix… Même si l’on prêche une sainte religion. Restons-en là, n’allons pas plus loin, on en a déjà dit assez pour qu’on nous expédie au diable et puis, tissons le linceul de ce vieux monde menteur, mensonger, mercantile, cupide, morbide, putride et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane