Les Malcontents

Dialogue Maïeutique



Lucien l’âne mon ami, sais-tu ce que c’est être malcontent ?

Euh, ce que je connais moi, dit Lucien l’âne, c’est être mécontent et vu ta question, je pense que ce n’est pas tout à fait la même chose. En tout état de cause, être mécontent, c’est tout simplement ne pas être content, ne pas apprécier quelque chose, une situation, une parole…

Tu as parfaitement saisi ce dont il s’agit, dit Marco Valdo M.I. ; si, comme tu le dis, mécontent, c’est ne pas être content, ne pas apprécier… ; malcontent, c’est aussi ne pas être content… mais avec en plus, le fait d’en être mal à l’aise, de ressentir un malaise ; en fait, il s’agit d’ajouter une humeur, d’une mauvaise humeur, une malhumeur et de l’exprimer. C’est faire connaître ses doléances, ses critiques, ses revendications – quand on peut le faire évidemment. Comme on le sait, en Zinovie, il est parfois périlleux d’être ouvertement critique. Donc, les personnages, les voix qui s’expriment dans la chanson sont des malcontents : il y a le Trouvère, le Revenant, le Veilleur, le Soldat. Mais je te dis tout de suite qu’il a bien fallu se limiter à ceux-là.

Je comprends, dit Lucien l’âne, mais laisse moi te suggérer l’idée que si c’est bien ce que j’ai compris, dans l’ensemble, les chansons du Voyage en Zinovie – il y en a plus de deux cent trente – portent les voix de malcontents. Mais que disent celles-ci ?

Donc, Lucien l’âne mon ami, le premier intervenant est le Trouvère et il fait un constat dramatique de l’évolution récente de la Zinovie, une sorte de rappel historique des trente dernière années et même un peu plus. Il fait un raccourci depuis environ 1990 jusqu’à présent. Et que dit-il ? Que la Zinovie, après être passée par une période de rupture avec le totalitarisme et de libération de la société, qui a duré environ une dizaine d’années :

« Il y a trente ans à peine,
On brisait les chaînes,
Et heureux, pas mécontents,
On bâtissait un nouveau pays,
On ne craignait plus ses amis. »,

est retournée prestement à ses vieux démons et sous la houlette du Guide a progressivement retrouvé ses vieilles habitudes.

« Et puis, depuis, on s’est remis
An après an, progressivement,
Aux mains des gardes d’antan. »

Ohoh, dit Lucien l’âne, voilà qui est clair et net et si j’ai bien compris, c’est le
premier douzain. Dis-moi vite la suite…

La suite, répond Marco Valdo M.I., n’est pas plus délectable et la voix du Revenant, qui avait des années durant fréquenté les camps et sait donc de quoi il parle, donne une idée du climat fétide qui s’est installé dans le pays :

« Sentez ce gaz, on étouffe déjà,
S’il fait moins froid qu’en Sibérie,
Vivre là-dedans, on ne peut pas ;
On n’est pas des bactéries. »

et il montre l’état présent de la Zinovie, tel qu’il résulte d’un quart de siècle de règne du Guide :

« La merde nous monte par dessus.
Et ce n’est qu’un début.
On est un pays de parias,
Un peuple mis au rebut.
Nul ne sait où ça finira. »

Puis, intervient le soldat pour en quelque sorte confirmer la déchéance programmée de la Zinovie :

« On pille, on vole, on tue, on massacre.
Pour impressionner le monde,
On s’enfonce dans l’immonde
Et le Patriarche bénit et sacre. »

Il y a de quoi avoir honte d’avouer être Zinovien, dit Lucien l’âne.

Effectivement, dit Marco Valdo M.I., et d’ailleurs, le dernier intervenant qui n’est autre que le Veilleur exprime vertement son désaccord et son refus d’entériner le régime du Guide :

« Je ne mange pas de ce pain-là.
La rapine, très peu pour moi
Et la gloire, je n’en veux pas.
Être ou ne pas être ainsi,
C’est la question, aujourd’hui. »

Ah, dit Lucien l’âne, même si ce ne sont encore que des voix au coin des rues, elles laissent entendre ce que pensent bien d’autres Zinoviens et malgré l’horreur, elles sauvent l’honneur de ce pays si mal traité / maltraité par ses dirigeants et posent à juste titre la question que posait le Prince de Danemark . Enfin, il faut conclure et montrer comment dans cette Guerre de Cent Mille Ans que les riches et les puissants font aux peuples et aux pauvres pour magnifier leur image et accroître toujours leurs avantages, la Zinovie se montre caricaturale et brutale. Quant à nous, décidément, tissons le linceul de ce vieux monde immobiliste, obscurantiste, rétrograde et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane