Les Déserteurs

Dialogue Maïeutique



Cette fois, Lucien l’âne mon ami, le titre de la canzone ne comporte aucune ambiguïté ; elle s’intitule « Les Déserteurs » et il y est vraiment question des déserteurs ; ceux de l’armée zinovienne.

Eh bien, Marco Valdo M.I. mon ami, tu m’en vois tout réjoui.

Soit, reprend Marco Valdo M.I., en ce cas, tout est pour le mieux. Cependant, je m’en vais quand même t’en dire quelques mots, car la chose est plus complexe qu’on ne l’imagine. Elle comporte une sorte de morale, l’établissement d’un principe fondamental d’une éthique de la guerre et de la paix, qui sont les deux bouts d’un même bâton.

Et quel est donc ce principe si fondamental ?, demande Lucien l’âne.

Pour mieux t’éclairer, dit Marco Valdo M.I., je commencerai par te lire le passage de la chanson qui le contient :

« L’appel aux armes
Est un ordre indécent.
À l’agresseur moralement
S’impose l’adieu aux armes. »

Quand on prend la peine de l’analyser, il se trouve que ce principe est d’une simplicité déconcertante et on ne peut que ce demander pourquoi il n’est pas systématiquement répandu et appliqué. Que dit-il exactement ? Et que sous-entend-t-il ? Que par principe, celui qui déclenche une guerre, celui qui est l’agresseur est indécent, celui-là se doit à dire adieu aux armes, se doit de se désarmer, de cesser son agression ; s’il est conscient de sa responsabilité d’être humain.

Excellent principe, donc, dit Lucien l’âne, mais à ma connaissance, tout au long du temps que j’ai parcouru, il a souvent été battu en brèche.

En effet, dit Marco Valdo M.I., mais c’est en quelque sorte, le lot de la civilisation que d’être toujours à faire ou à refaire. Souvent, il en va de la barbarie comme du naturel. Tu connais sans doute l’expression « Chassez le naturel, il revient au galop ». En quelque sorte, rien n’est jamais acquis et surtout pas, le progrès civilisationnel. Les retours sont le lot commun de nombreuses périodes et sont généralement l’œuvre de systèmes dominateurs qu’ils soient le fait d’un homme, d’une dynastie, d’un petit groupe ou de tout un peuple d’excités. Souvent, c’est la combinaison de plusieurs de ces formes. Dans tous les cas, il y a un effondrement de la conscience humaine.

Mais laissons là cette réflexion pertinente et philosophique, demande Lucien l’âne, et voyons de quoi se compose la chanson et ses quatre douzains.

Le premier de ces douzains, Lucien l’âne mon ami, fait surgir un nouveau personnage : Alexandre, qui a déserté et s’est réfugié – a dû se réfugier – à l’étranger. C’est le soldat qui rapporte les propos de son ami avec qui il a combattu ; il l’appelle son « frère d’armes ». Le soldat insiste sur le fait qu’Alexandre dit la vérité.

« Le soldat dit : Les amis,
Il faut dire la vérité au pays.
De l’étranger, Alexandre,
Mon frère d’armes, m’a écrit. »

Et le jugement sur les soldats d’un pays agresseur est sans appel :

« Il dit : les soldats ont du cœur,
Les soldats sont déserteurs. »

Ah, dit Lucien l’âne, on doit sans doute comprendre que ceux qui ne désertent pas n’auraient pas de cœur.

Non, répond Marco Valdo M.I., pas nécessairement. La proposition positive – avoir du cœur – ne concerne que les déserteurs, mais elle ne dit rien des autres. Il y a par exemple ceux qui viennent d’être incorporés ou ceux qui viennent d’arriver au front et n’ont pas encore compris que le Guide et le régime tout entier leur ont menti, qui e libérateurs de gens opprimés se découvrent envahisseurs contre leur gré et qui dès lors, se demandent comment échapper à ce cauchemar. Et Alexandre, qui était lieutenant dans cette armée zinovienne et qui voyant ce qu’il voyait avait déserté et ainsi, montré l’exemple, Alexandre incite les soldats à déserter à leur tour.

« Amis, foutez le camp,
Dit Alexandre le lieutenant,
Amis, changez de camp, »

et même, comme tu le vois, passer à l’action contre le Guide, son régime, son empire et sa guerre.

Et comment, demande Lucien l’âne, le lieutenant Alexandre voit-il cette résistance ?

De deux manières, dit Marco Valdo M.I. ; d’abord, il faut s’en échapper de ce piège et puis, faire la guerre à la guerre et faire disparaître le Guide et sa secte de brigands.

« Faites la guerre à cette guerre,
Usez de tous les mots,
Usez de tous les gestes,
Pour mettre fin au plus tôt,
Au Guide, à son engeance, à cette peste. »

On ne saurait s’y tromper, dit Lucien l’âne, ce lieutenant est un pacifiste logique, cohérent et conscient qu’en la matière, il faut aller jusqu’au bout. Et le dernier douzain révèle la véritable intention du Guide, son caractère fondamentalement criminel :

« Le Guide fait la leçon :
Le but est clair, sans façon,
Civils ou militaires,
Tout est gibier pour notre guerre. »

Oui, commente Lucien l’âne, voilà un Guide débarrassé de ses oripeaux, nu comme un ver dans ses intentions malveillantes et il est bien que ce soit un Lieutenant de l’armée zinovienne comme Alexandre qui le dise à haute et intelligible voix. Voilà un assassin démasqué, un génocidaire débusqué. Et puis, j’apprécie particulièrement cette injonction du Lieutenant aux envahisseurs (invasori en italien, Ô Bella Ciao !) contraints : « En Zinovie, faites la guerre à cette guerre. » On comprend à peu près cette sentence comme ceci : « Tant qu’à devoir faire la guerre contre l’étranger, autant faire la guerre à la guerre dans son propre pays. » Finalement, les risques sont les mêmes, mais le mobile est plus honorable. Enfin, quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde barbare, envahisseur, impérial, dictatorial, brutal, absurde et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane