Les Fleurs perverses

Dialogue Maïeutique



Je vois bien, Lucien l’âne mon ami, ton œil interrogatif et ton impatience de savoir ce que peuvent bien être ces fleurs perverses. Je vois même que tu leur trouves une senteur baudelairienne et que tu serais prêt à les appeler des fleurs du mal. Et, ma foi, tu n’aurais pas tort, car c’en sont.

Avec tout ce beau laïus, je ne sais pas, Marco Valdo M.I. mon ami, ce qu’elles sont, à quoi elles correspondent et moins encore, pourquoi elles sont le titre de la chanson.

C’est normal, Lucien l’âne mon ami, que tu ne puisses le deviner, mais heureusement, c’est dit dans la chanson. Ces fleurs perverses sont les leçons que les professeurs, les instituteurs vont devoir seriner aux enfants de Zinovie afin de leur insuffler une conscience patriotique et carrément, militariste. La canzone dit exactement :

« L’école comprend cette exigence
De former les consciences
À la musique du canon.
Elle invente de nouvelles leçons,
Fleurs perverses de l’alliance
Du char et du sermon. »

Je vois, je vois, dit Lucien l’âne. Le bourrage de crânes dès l’enfance est une pratique courante des gens qui ambitionnent de détenir le pouvoir sur leurs contemporains ; c’est le meilleur moyen d’inculquer une doctrine, une idéologie, une religion – avec ou sans Dieu. Mais peux-tu, comme tu en as l’habitude, me donner un aperçu systématique de la chanson ?

Certainement, Lucien l’âne mon ami, j’y vais pas à pas et n’hésite pas à faire des commentaires, comme tu en as l’habitude. Donc, on commence par une intervention d’une voix jusqu’ici inconnue, celle de l’étudiant qui depuis est devenu philosophe. Comme le font les philosophes, du moins certains d’entre eux, il observe la société et de cette observation, il tire certaines réflexions. C’est lui parle des fleurs perverses. Juste, un petit détour, pour indiquer l’origine d’une expression que le philosophe utilise. Il s’agit de « l’alliance du char et du sermon » qui modernise l’ancienne antienne « l’alliance du sabre et du goupillon », expression que tu connais certainement pourrait être formulée en « l’alliance de l’Armée et de l’Église ».

C’est ce que j’avais cru comprendre, dit Lucien l’âne. Et la chose n’est pas nouvelle, tu peux me croire.

En cela, je te crois, Lucien l’âne mon ami. Ensuite, notre philosophe est interrompu pas le soldat qui vient raconter ce qui se passe dans les classes et annonce que l’école va fabriquer des drones pour les militaires.

« Par devoir patriotique,
En classe, on fabriquera
Des drones stratégiques. »

Que voilà une belle mission !, dit Lucien l’âne. C’est carrément délirant.

Avant de te dire la suite, reprend Marco Valdo M.I., je voudrais attirer l’attention sur une réflexion curieuse du soldat qui dit :

« Il est question dans un discours
D’un ultimatum de capitulation,
Mais le Guide refuse encore toujours. »

Elle est curieuse en ceci que c’est dans une communication officielle que le pouvoir zinovien envisage la capitulation, ça c’est nouveau. Même si le Guide refuse encore… Il faut entendre le sous-entendu.

Évidemment, dit Lucien l’âne. Les sous-entendus sont faits pour être entendus.

Puis, le philosophe reprend la parole, et Lucien l’âne mon ami, et déroule une réflexion philosophique quant à la manière d’en sortir de ce marasme :

« Comment tarir cette éruption,
Comment assainir ce bubon ?
Est-il en notre pouvoir
À nous pauvres sans pouvoir
D’affronter à conscience nue
Cette terreur sans retenue ? »

Oui, Marco Valdo M.I. mon ami, c’est une vraie interrogation existentielle que celle-là. Que faire face à la terreur ? Elle se pose à chacun, à chaque individu et seul, en tant que tel, il peut y répondre. L’essentiel est de faire le premier pas ; comme pour tout voyage, aussi long, aussi difficultueux soit-il, c’est le premier pas qui entraîne tout le reste.

Et, Lucien l’âne mon ami, la réponse est donnée dans le dernier douzain par la dissidente, une journaliste exilée, une « voix » qui rapportée là par le philosophe. Elle dit :

« Elle dit : il faut laver cette honte,
Qui monte, qui monte. »

En effet, dit Lucien l’âne, il faut laver la honte qui a déferlé sur la Zinovie et c’est l’affaire de chaque Zinovien. Quant à nous, tissons le linceul de ce vieux monde honteux, abject, affreux, avilissant, ignoble, immonde, infâme et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane