La Journée ordinaire

Dialogue Maïeutique


Dans ce voyage en Zinovie, Lucien l’âne mon ami, nous avons déjà entendu beaucoup de voix qui parlaient de paix, de guerre et de plein d’autres choses ; toutes mises ensemble dont une espèce de chœur des lamentations, tant que la vie en Zinovie nous est apparue sous des aspects fort différents de nos vies quotidiennes.

Oui, dit Lucien l’âne,et par bien des côtés, ces échos de la Zinovie m’ont paru étranges et m’ont quasiment dissuadé d’y vivre, du moins si les choses ne changent pas.

C’est aussi mon avis, répond Marco Valdo M.I., et les choses, comme on va le voir, ne sont pas plus engageantes dans cette chanson. Autre voix, autre récit, mais toujours la même ambiance lourde, pesante d’ennui et de menace pour l’individu anonyme, pour le citoyen moyen, pour l’habitant calme, pour le cénobite tranquille. Cependant, voyons les choses dans l’ordre où elles sont racontées. Il y a comme d’habitude quatre parties. Dans la première d’entre elles, il est question de la Zinovie elle-même, de sa spiritualité et de la dignité son âme qui est le prétexte à désigner des ennemis forcément pervers. C’est le message, l’évangile répandu par le Guide et ses apôtres.

Oh, dit Lucien l’âne, on a déjà entendu ça mille fois et le résultat est toujours assez effarant. La spiritualité et l’âme se référant à un peuple, une nation, une patrie, une communauté quelconque, ça conduit toujours à de grands massacres. Il n’y a rien de plus dangereux que ces entités mythiques qui se nourrissent d’imaginaire. Ce sont les mères des pires fanatismes. Et ensuite ?

Ensuite, reprend Marco Valdo M.I., la deuxième partie analyse le fonctionnement de la Zinovie : elle produit du pétrole et consomme de l’alcool ; elle apprécie également la pertinence du discours et de l’idéologie du Guide ; elle conclut que c’est de la foutaise.

Là, dit Lucien l’âne, je la crois volontiers ; ces histoires de Guide, c’est un tour de passe-passe permanent, c’est l’agitation perpétuelle du bonimenteur.

Quant à la troisième partie, dit Marco Valdo M.I., elle indique combien la vie est mise sous contrôle étroit et montre la pression que la société fait peser sur chacun ; car même le Guide et ses acolytes n’échappent pas à la pesanteur du régime. Et la dernière partie raconte simplement la journée ordinaire, banale des gens et leurs façons d’échapper à la chape d’ennui qui couvre leurs jours et leurs nuits. J’ajoute que cet ennui est consubstantiel à la société zinovienne telle que l’impose le régime en place.

Heureusement, dit Lucien l’âne, qu’on ne fait que passer. Je pense que si je devais être contraint à vivre dans un pareil climat, dans une pareille ambiance, sous un pareil régime, je m’éteindrais bientôt et j’entreprendrais de m’aménager une vie souterraine, toute de résistance nimbée. Enfin, tissons le linceul de ce vieux monde ennuyeux d’un ennuyeux ennui, mortel, fat, dément et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane