Vous le connaissez depuis longtemps ?
Non, peut-être, oui, ça fait un moment.
Ce n’est pas un mauvais garçon,
Juste un peu coureur de jupons,
Il aime bien discuter, parler ;
Il a toujours un bon moral.
Seuls, de quoi vous bavardez ?
De tout, de choses, de rien de spécial.
Que dit-il de la situation dans le pays ?
Elle se dégrade, on augmente les prix,
Le manque pommes de terre,
C’est à cause de la guerre.
Chez lui, on passe sans le saluer.
Il a reçu la convocation
Chez le juge d’instruction.
Sans délai, il doit y aller.
Il ne connaît pas le quartier.
À qui demander le chemin ?
Les gens s’écartent lui
Personne ne sait rien.
Une vieille somnolant sur un banc,
Finalement, d’un petit mouvement
Montre silencieusement
L’entrée du bâtiment.
Sur le parvis, s’envolent les pigeons.
J’avance, le bâtiment est immense.
J’entre, je tends la convocation.
On prend mon passeport ; silence.
Le guichet se referme. Patience.
On m’emmène ; des portes, des portes.
Une pièce terne, neutre, vide, morte.
Assis. Le juge dit : statut : témoin.
Qui ça ? Moi ? De quoi ? On verra.
Passeport. Nom, prénom et cetera.
Lent, patient, vétilleux avec soin.
Deux heures. Signez ici. Signez là.
Alors ? Des idioties, des racontars
Sans queue, ni tête, une folle histoire.
Une affaire bâtie sur rien, une combine
Des ragots, des inventions pures :
Des élucubrations, des aventures.
Un réseau, une organisation clandestine.
L’accusation met tout sur mon dos
Et ces feuillets perdus dans le métro,
Et puis encore, des complots, des attentats,
Je ne sais pas comment me tirer de ça.
Ce n’est pas grave, qu’il dit.
Tout finira par s’arranger, qu’il dit.
Non, peut-être, oui, ça fait un moment.
Ce n’est pas un mauvais garçon,
Juste un peu coureur de jupons,
Il aime bien discuter, parler ;
Il a toujours un bon moral.
Seuls, de quoi vous bavardez ?
De tout, de choses, de rien de spécial.
Que dit-il de la situation dans le pays ?
Elle se dégrade, on augmente les prix,
Le manque pommes de terre,
C’est à cause de la guerre.
Chez lui, on passe sans le saluer.
Il a reçu la convocation
Chez le juge d’instruction.
Sans délai, il doit y aller.
Il ne connaît pas le quartier.
À qui demander le chemin ?
Les gens s’écartent lui
Personne ne sait rien.
Une vieille somnolant sur un banc,
Finalement, d’un petit mouvement
Montre silencieusement
L’entrée du bâtiment.
Sur le parvis, s’envolent les pigeons.
J’avance, le bâtiment est immense.
J’entre, je tends la convocation.
On prend mon passeport ; silence.
Le guichet se referme. Patience.
On m’emmène ; des portes, des portes.
Une pièce terne, neutre, vide, morte.
Assis. Le juge dit : statut : témoin.
Qui ça ? Moi ? De quoi ? On verra.
Passeport. Nom, prénom et cetera.
Lent, patient, vétilleux avec soin.
Deux heures. Signez ici. Signez là.
Alors ? Des idioties, des racontars
Sans queue, ni tête, une folle histoire.
Une affaire bâtie sur rien, une combine
Des ragots, des inventions pures :
Des élucubrations, des aventures.
Un réseau, une organisation clandestine.
L’accusation met tout sur mon dos
Et ces feuillets perdus dans le métro,
Et puis encore, des complots, des attentats,
Je ne sais pas comment me tirer de ça.
Ce n’est pas grave, qu’il dit.
Tout finira par s’arranger, qu’il dit.
envoyé par Marco Valdo M.I. - 12/8/2022 - 11:28
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Chanson française — La Convocation — Marco Valdo M.I. — 2022
LA ZINOVIE
est le voyage d’exploration en Zinovie, entrepris par Marco Valdo M. I. et Lucien l’âne, à l’imitation de Carl von Linné en Laponie et de Charles Darwin autour de notre Terre et en parallèle à l’exploration du Disque Monde longuement menée par Terry Pratchett.
La Zinovie, selon Lucien l’âne, est ce territoire mental où se réfléchit d’une certaine manière le monde. La Zinovie renvoie à l’écrivain, logicien, peintre, dessinateur, caricaturiste et philosophe Alexandre Zinoviev et à son abondante littérature.
Épisode 1 : Actualisation nationale ; Épisode 2 : Cause toujours ! ; Épisode 3 : L’Erreur fondamentale ; Épisode 4 : Le Paradis sur Terre ; Épisode 5 : Les Héros de l’Histoire ; Épisode 6 : L’Endémie ; Épisode 7 : La Réalité ; Épisode 8 : La Carrière du Directeur ; Épisode 9 : Vivre en Zinovie ; Épisode 10 : Le But final ; Épisode 11 : Les nouveaux Hommes ; Épisode 12 : La Rédaction ; Épisode 13 : Glorieuse et grandiose Doussia ; Épisode 14 : Le Bataillon des Suicidés ; Épisode 15 : Les Gens ; Épisode 16 : Jours tranquilles au Pays ; Épisode 17 : La Région ; Épisode 18 : Mémoires d’un Rat militaire ; Épisode 19 : L’inaccessible Rêve ; Épisode 20 : La Gastronomie des Étoiles ; Épisode 21 : Le Progrès ; Épisode 22 : Faire ou ne pas faire ; Épisode 23 : Le Bonheur des Gens ; Épisode 24 : La Sagesse des Dirigeants ; Épisode 25 : Les Valeurs d’Antan ; Épisode 26 : L’Affaire K. ; Épisode 27 : L’Atmosphère ; Épisode 28 : La Nénie de Zinovie ; Épisode 29 : L’Exposition colossale ; Épisode 30 : La Chasse aux Pingouins ; Épisode 31 : Le Rêve et le Réel ; Épisode 32 : La Vérité de l'État ; Épisode 33 : La Briqueterie ; Épisode 34 : L’Armée des Chefs ; Épisode 35 : C’est pas gagné ; Épisode 36 : Les Trois’z’arts ; Épisode 37 : La Porte fermée ; Épisode 38 : Les Puces ; Épisode 39 : L’Ordinaire de la Guerre ; Épisode 40 : La Ville violée ; Épisode 41 : La Vie paysanne ; Épisode 42 : La Charrette ; Épisode 43 : Le Pantalon ; Épisode 44 : La Secrète et la Poésie ; Épisode 45 : L’Édification de l’Utopie ; Épisode 46 : L’Ambition cosmologique ; Épisode 47 : Le Manuscrit ; Épisode 48 : Le Baiser de Paix ; Épisode 49 : Guerre et Paix ; Épisode 50 : La Queue ; Épisode 51 : Les Nullités ; Épisode 52 : La Valse des Pronoms ; Épisode 53 : La Philosophie spéciale ; Épisode 53 : La Philosophie spéciale ; Épisode 54 : Le Pays du Bonheur ; Épisode 55 : Les Pigeons ; Épisode 56 : Les Temps dépassés ; Épisode 57 : La Faute à la Contingence ; Épisode 58 : Guerre et Sexe ; Épisode 59 : Une Rencontre en Zinovie ; Épisode 60 : La Grande Zinovie ;
Épisode 61
Evgueni Oks — 1960
Encore une voix ?, demande Lucien L’âne.
Des voix plutôt, répond Marco Valdo M.I., une sorte de conversation ou de dialogue, dans lequel une voix – que je qualifierais de principale – est interrogée par une autre. Cette deuxième voix, cette autre voix est celle du juge d’instruction. La première est celle de ce personnage anonyme (pour nous) qui est convoqué et qui raconte cette aventure à une troisième voix qu’on n’entend qu’à la dernière strophe et qui conclut de façon optimiste – histoire de rassurer le « convoqué ».
« Ce n’est pas grave, qu’il dit.
Tout finira par s’arranger, qu’il dit. »
Je vois de quoi il s’agit, dit Lucien l’âne.
Peut-être bien, répond Marco Valdo M.I., car il s’agit d’une scène banale de la vie quotidienne : quelqu’un est convoqué chez un juge et s’y rend et bien entendu, est interrogé pour tenter d’éclaircir un événement. Banale en apparence ici, je veux dire en dehors de la Zinovie, sauf qu’en Zinovie, les choses ont un autre sens. Là-bas, tout change quand on s’attarde aux détails. Je te résume l’affaire. Dans la strophe 1, on trouve le premier interrogatoire qui est à l’origine de l’affaire ; une sorte de rétro-acte. Ce préliminaire est fait par un agent des services, qui s’entretient avec quelqu’un à propos d’une de ses connaissances. L’agent pose des questions pour la plupart anodines et l’interlocuteur, en l’occurrence, une interlocutrice – intime de celui qu’on examine, est bien forcée de répondre quelque chose en essayant quand même de ne pas incriminer son ami, sans doute, son ami fort proche et ce pourrait aussi bien être son mari, son frère, son fils… Et tout part de là.
Quelle ambiance !, dit Lucien l’âne.
Oui, dit Marco Valdo M.I., en Zinovie, tout est sous contrôle et tout est objet de suspicion et d’interrogation. C’est un monde délétère, oppressant, où même l’intimité est surveillée, questionnée, espionnée, interrogée et pour tout dire, fouillée. C’est ainsi dans les pays comme la Zinovie. Là-bas, toute réponse, même prudente et anodine, est susceptible d’entraîner des poursuites. Dans ce cas-ci, la simple énonciation d’éléments réels et exacts est dangereuse.
« Que dit-il de la situation dans le pays ?
Elle se dégrade, on augmente les prix,
Le manque pommes de terre,
C’est à cause de la guerre. »
Ainsi, la première strophe montre comment on arrive – insidieusement – à faire dire à une personne tierce des choses qui peuvent être retournées contre quelqu’un.
Eh bien, dit Lucien l’âne, je me demande ce qu’elle raconte ensuite cette chanson.
La deuxième strophe nous conduit en suivant le convoqué jusqu’au lieu de la rencontre, dit Marco Valdo M.I., un lieu célèbre dans l’imaginaire des habitants et tu l’imagines, fort craint. Sans trop qu’on sache d’où vient la rumeur, qui la diffuse, tout le monde dans le quartier où réside notre voix — autrement dit, ses voisins et sur son lieu de travail — ses collègues, est au courant de la convocation (ce sont des bruits qui circulent fort vite) et dans les environs de l’immeuble secret, tout le sait ce que vous venez y faire si vous n’êtes pas un de ses agents ; quant aux agents, tout le monde les reconnaît aussi et surtout, s’en méfie. La troisième strophe raconte l’interrogatoire – la longue procédure judiciaire suivie scrupuleusement par l’interrogateur, c’est évidemment un pur formalisme destiné à donner une apparence de régularité à cette palinodie et enfin, la quatrième strophe révèle le contenu de ce mémorable entretien.
Tout ça me fait penser, dit Lucien l’âne, à une autre série de chansons qu’on a publiées il y a quelque temps. Par exemple : Dangereux pour l’Ordre de l’État et Le Procès-verbal.
Certes, répond Marco Valdo M.I., mais il faut quand même souligner que celles-là racontaient l’histoire d’un opposant emprisonné et interrogé par le régime fasciste italien au moment où il était quasiment à son zénith ; il y a pas loin d’un siècle. Ce n’était donc pas en Zinovie aujourd’hui. Et un dernier petit mot avant de te laisser conclure, un dernier mot à propos de l’allusion à un autre moment de l’Histoire et comme au temps de Hans Fallada – voir O Fallada, da du hangest (Ein Pferd klagt an) renvoie à une forme de lutte et de résistance interne à présent à nouveau pratiquée en Zinovie :
« Et ces feuillets perdus dans le métro,
Et puis encore, des complots, des attentats »
Comme quoi, dit Lucien l’âne, comme toujours dans La Guerre de Cent mille ans que les riches et les puissants font aux pauvres et aux plus faibles pour assurer et étendre leur domination et leurs privilèges, le temps ne fait rien à l’affaire, les mêmes méthodes cauteleuses et inciviles sont toujours usitées.
Oui, reprend Marco Valdo M.I., et en pourtant, on retrouve en Zinovie la même ambiance délétère, la même forme de méticuleuse surveillance des gens et en fait, le même régime.
C’est bien ce qui me semblait, dit Lucien l’âne, cette Zinovie baigne dans un système fasciste et je n’aimerais pas, vraiment pas vivre dans un pays corseté comme ça. Alors, tissons le linceul de ce vieux monde bégayant, menteur, dissimulateur, affabulateur, périmé et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane