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Les Graffitis

Marco Valdo M.I.
Lingua: Francese



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Les Graffitis

Lettre de Prison 7
1 avril 1934

Dialogue Maïeutique

Le cheval, le doge et le prisonnier
Le cheval, le doge et le prisonnier


Tu sais, Lucien l’âne mon ami, que l’homme enfermé a l’étrange habitude de marquer les lieux de son passage : un signe, un nom, un dessin ; on appelle ça des graffitis.

Oh, dit Lucien l’âne, personnellement, je ne fréquente pas ces lieux, mais j’en ai déjà vus sur les dans les rues ou sur des arbres.

En effet, reprend Marco Valdo M.I., généralement, il griffe la pierre, le bois ; il tente de graver son souvenir (le souvenir de lui-même), parfois, c’est le dernier, comme si cette trace allait le faire perdurer. C’est une fameuse illusion, la trace ne fait perdurer que la trace.

Certes, dit Lucien l’âne, mais c’est déjà quelque chose. Comme je viens de te le dire, je sais très bien tout cela, moi qui en ai vu tellement depuis le temps que je parcours le monde à la poursuite de moi-même ou de mon ombre, que sais-je ? Il y en a vraiment partout : sur les monuments, sur les arbres, sur le sable (ils ne durent que le temps d’une marée), sur les roches de hautes montagnes ou sur les falaises de bord de mer aux endroits les plus invraisemblables. Et là, il ne s’agit pas d’hommes enfermés ; il s’agit même parfois de couples d’amoureux tatouant un grand chêne (Le grand chêne), un grand hêtre, liant ainsi leur histoire éphémère à celle de l’écorce meurtrie et leur vanité monte ainsi vers les cieux jusqu’à ce qu’on abatte l’arbre et ça peut durer longtemps (Dendrocronologia).

Revenons à la chanson qui – tu l’auras sans doute deviné, Lucien l’âne mon ami – s’intitule « Les Graffitis ». Cependant, même que c’en est la conclusion :

« Mon œil se perd sur le mur blanc
Entre les graffitis d’un autre temps. »


D’ailleurs, un des endroits où on a le plus le temps et l’envie de faire des graffitis, c’est dans une cellule de prison, de forteresse où le mot est souvent le simple mot « Liberté » ou alors, un cri de colère : « Merde (Merde à Vauban) ». Et si c’en est la conclusion, les graffitis ne sont pas toute l’histoire de la chanson.

Mais, dit Lucien l’âne un peu abasourdi, qu’est-ce qu’elle raconte d’autre de si intéressant ?

Eh bien, dit Marco Valdo M.I., beaucoup de choses, alors écoute-moi attentivement. Elle commence par une protestation de l’artiste Carlo Levi auquel un scénario de film a été commandé et qui ne peut, s’il reste en prison, achever et fournir. Que suggère-t-il à ses censeurs ? Une perte pour Carlo Levi, mais peut-être aussi pour le cinéma italien ? Il réclame sa libération, mais pour ceux qui reçoivent le courrier (ses proches), le message est « prévenez Mario Soldati », avec qui il fait ce film et aussi, avec qui il mène la lutte clandestine contre le régime. Tout aussi singulier ce distique :

« J’ai la chemise, j’ai le costume,
Mais pas la cravate autour du cou. »


Il est en apparence fort banal et il sera interprété comme ça par la plupart des lecteurs. Pour le censeur, c’est la description objective de la situation du prisonnier, de n’importe quel prisonnier : sans ceinture, sans lacets, sans cravate, c’est la règle. Pourtant, à y mieux regarder, on découvre le message : je suis dans la situation du prisonnier, mais je ne suis pas avec la cravate (corde) autour du cou, je ne suis pas étranglé ; autrement dit, je suis à mon aise et ils ne me tiennent pas.Vu ainsi, c’est nettement un message clandestin à destination amis de son réseau de résistance.

Houlala, Marco Valdo M.I. mon ami, comme elle est complexe cette petite chanson banale.

Oh, elles le sont toutes, Lucien l’âne mon ami, mais je ne peux faire pareille dissection à chaque fois. Je ne peux te conseiller d’autre méthode que de suivre attentivement le récit, qui dans ces petits textes sont forcément fort denses ; évidemment, on peut les entendre linéairement, sans ces complications et c’est bien aussi. La strophe suivante, par exemple, a le même rôle. Quand elle dit « La Gazetta dello Sport » a publié un communiqué, il fait tout un commentaire, mais il ne dit pas ouvertement qu’on peut utiliser la Gazetta pour faire passer des messages dans les prisons.

C’est une bonne idée, en tout cas, dit Lucien l’âne.

Pour le reste, vois la chanson.

Eh bien, dit Lucien l’âne, tissons le linceul de ce vieux monde carcéral, myope, mal bâti, mal parti et cacochyme.

Heureusement !

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane
Avec ses souvenirs familiers,
Pâque est donc venue ce matin.
Ce qui me rend chagrin,
C’est que, si je reste enfermé,
Le film va m’échapper.

Perdre une scénographie,
Une commande pour le cinéma,
Une occasion comme celle-là,
On n’en a pas beaucoup dans la vie.
Quelle situation, une vraie idiotie.

J’ai la chemise, j’ai le costume,
Mais pas la cravate autour du cou.
Tout ce qui vient de chez vous –
Les lettres, le linge, les vivres,
Les chaussures – m’aide à vivre.

Ici, la « Gazetta dello sport » est autorisée ;
C’est une riche idée !
On y trouve un communiqué :
Un groupe a été arrêté
Et emprisonné.

Ici, comme prisonnier, il est logique
De vouloir retrouver sa liberté.
En attendant, je lis les classiques ;
C’est assez encyclopédique,
Mais j’y suis en bonne société.

Ici, ce matin, je suis fainéant.
Assis à la table, morne à périr,
Je n’ai pas envie d’écrire.
Mon œil se perd sur le mur blanc
Entre les graffitis d’un autre temps.

inviata da Marco Valdo M.I. - 27/1/2019 - 15:04




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