Sur la Brielle, arrive au matin.
Solennel, l’amiral. Il dit :
« Pour vous, il y a un tiers du butin.
Je vais régler le destin des prisonniers.
Qu’on pende Dirk Slosse par le cou au grand mât
Et haut pour qu’au loin, on le voie.
Et dans la glace, faites un trou et aussitôt
Jetez son corps sous l’eau. »
Puis, l’amiral demande faussement étonné :
« J’entends des poules glousser,
Des brebis bêler, des truies grogner,
Des veaux mugir, des vaches meugler. »
Lamme répond : « Ces moutons, ces porcs, ces bœufs,
Sont prisonniers de gueule des Gueux.
Les canes, les oies, les poules seront épargnées
Contre les œufs, rançon de fricassées. »
Till complète : « Hommes et garçons de ferme,
Vous ne pouvez rester prisonniers.
Il faut choisir : ou vous engager
Dans l’équipage pour un terme ;
Contre une rançon et votre parole
De ne jamais plus servir l’Espagnol,
Vous pouvez choisir de payer
Et bientôt, libres, vous en aller
Et vous, mignonnes commères,
Vous aussi avez choix de liberté :
Garder, ici ou là, votre homme à vos côtés
Ou parmi nous, choisir un compère. »
Ce jour-là et les suivants,
Il y a grande fête sous les haubans,
Sur le pont, dans la cuisine :
Sans souci, chez Lamme, on dîne.
Assise sur une vergue, au froid de la bise,
Nelle boit en un grand hanap d’or,
Nelle essoufflée de souffler, souffle encore
Et contre le vent, fait glapir le fifre.
Avec le vin, l’équipage tangue un peu :
« Chez Lamme, c’est musique de cuisine ;
Tous ensemble, chez Lamme, on dîne.
Vive le Maître Queux ! Vive les Gueux ! »
Solennel, l’amiral. Il dit :
« Pour vous, il y a un tiers du butin.
Je vais régler le destin des prisonniers.
Qu’on pende Dirk Slosse par le cou au grand mât
Et haut pour qu’au loin, on le voie.
Et dans la glace, faites un trou et aussitôt
Jetez son corps sous l’eau. »
Puis, l’amiral demande faussement étonné :
« J’entends des poules glousser,
Des brebis bêler, des truies grogner,
Des veaux mugir, des vaches meugler. »
Lamme répond : « Ces moutons, ces porcs, ces bœufs,
Sont prisonniers de gueule des Gueux.
Les canes, les oies, les poules seront épargnées
Contre les œufs, rançon de fricassées. »
Till complète : « Hommes et garçons de ferme,
Vous ne pouvez rester prisonniers.
Il faut choisir : ou vous engager
Dans l’équipage pour un terme ;
Contre une rançon et votre parole
De ne jamais plus servir l’Espagnol,
Vous pouvez choisir de payer
Et bientôt, libres, vous en aller
Et vous, mignonnes commères,
Vous aussi avez choix de liberté :
Garder, ici ou là, votre homme à vos côtés
Ou parmi nous, choisir un compère. »
Ce jour-là et les suivants,
Il y a grande fête sous les haubans,
Sur le pont, dans la cuisine :
Sans souci, chez Lamme, on dîne.
Assise sur une vergue, au froid de la bise,
Nelle boit en un grand hanap d’or,
Nelle essoufflée de souffler, souffle encore
Et contre le vent, fait glapir le fifre.
Avec le vin, l’équipage tangue un peu :
« Chez Lamme, c’est musique de cuisine ;
Tous ensemble, chez Lamme, on dîne.
Vive le Maître Queux ! Vive les Gueux ! »
envoyé par Marco Valdo M.I. - 9/12/2018 - 18:34
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Chanson française – Les Prisonniers des Gueux – Marco Valdo M.I. – 2018
Ulenspiegel le Gueux – 116
Opéra-récit en multiples épisodes, tiré du roman de Charles De Coster : La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au Pays de Flandres et ailleurs (1867).
(Ulenspiegel – IV, XVII)
Après l’expédition nocturne, Dirk Slosse, les gens de la ferme et tout le butin sont ramenés à bord de la Brielle. On en était là, rappelle Marco Valdo M.I., quand commence la chanson.
Je ne souviens fort bien de toute cette cavalcade, dit Lucien l’âne. Et je suis très curieux de connaître la suite.
Et tu as bien raison, Lucien l’âne mon ami, car elle est peu ordinaire. Ayant appris la chose, le nouvel amiral Worst, que le Taiseux avait désigné à la place de Guillaume de la Marck, dit Lumay, considéré comme trop autoritaire et trop sanguinaire et dont le navire est lui aussi bloqué sur les glaces de l’IJ, arrive dès le matin à bord de la Brielle. Il s’agit de remettre les pendules à l’heure : de condamner dans le principe cette insubordination notoire qu’est le raid à la ferme et dans le même temps, passer l’éponge sur sa propre condamnation de cet événement. En un seul mouvement, il couvre ainsi les décisions de Till et de Lamme et en plus, il récompense les Gueux de la Brielle pour leur acte de guérilla en leur annonçant qu’ils bénéficieront du tiers du butin – le reste étant réparti entre la flotte et les dépenses générales des Gueux.
Évidemment, Marco Valdo M.I. mon ami, il aurait été de mauvaise grâce à les condamner, car leur action nocturne assurait le ravitaillement de toute la flotte pour un bout de temps.
Par ailleurs, continue Marco Valdo M.I., il préside aux débuts des réjouissances qui durent plusieurs jours ; la flotte attendant que la glace fonde pour retrouver sa capacité de mouvement. Pour une fête, c’est une fête e toute à la gloire du maître-queux.
Elles me plaisent bien, moi, les chansons de fête, dit Lucien l’âne. J’ai un peu l’impression d’y participer.
Avant de te laisser conclure, Lucien l’âne mon ami, il me faut attirer ton attention sur une manière de faire inhabituelle dans les guerres où on a plutôt l’usage d’éliminer l’adversaire ou de le réduire à l’état de prisonnier. J’insiste sur ce fait, car pour les Gueux, c’est l’application de leur devise de liberté qu’ils considèrent, bien avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, comme un droit humain. Au passage, je rappelle que Hugo de Groot de Delft, alias Grotius, qui écrit « Au nombre de ces faits particuliers à l’homme, se trouve le besoin de se réunir, c’est-à-dire de vivre avec les êtres de son espèce, non pas dans une communauté banale, mais dans un état de société paisible, organisée suivant les données de son intelligence », est un descendant direct de ces Gueux et par ailleurs, va théoriser leurs principes et de ce fait, devenir un des fondateurs du « droit de la guerre et la paix ». Dès lors, ils proposent à leurs prisonniers – aux femmes comme aux hommes – un choix de libre décision : rester avec les Gueux et s’engager dans le combat pour la liberté ou choisir de s’en aller, mais sous double condition d’une rançon et de ne plus servir l’occupant espagnol. En outre, spécifiquement pour les femmes, il est offert de se choisir librement un avenir.
Ce sont en effet, dit Lucien l’âne, choses peu ordinaires. Je n’ai jamais rencontré dans mes expéditions, bien entendu avant les Gueux, pareille proposition. Je pense même que dans certains pays contemporains, ce serait encore une nouveauté révolutionnaire. Cependant, pourquoi exiger une rançon de la part de ces gens qui n’étaient que des servants ?
D’abord, Lucien l’âne mon ami, il faut supposer qu’une telle rançon serait dans leur cas assez symbolique, à la mesure de leurs moyens, mais c’est un principe : c’est leur façon de contribuer à l’effort commun de libération, à la lutte d’émancipation. Ensuite, il faut se replacer dans le contexte pour comprendre cette nécessité des Gueux de se procurer, au besoin par la force, les moyens de mener à bon terme cette guerre de liberté. Cette guerre, il faut le rappeler, est l’œuvre de gens qui au départ, étaient pacifiques, loyalistes et même, bienveillants à l’égard des structures en place. Sans l’avidité, l’arrogance, la rapacité, la brutalité des Espagnols, sans l’intransigeance et le fanatisme catholique, impulsé et dirigé par l’Inquisition, jamais, ces gens des Pays n’auraient pensé à se rebeller ; jamais, ils ne se seraient jetés à corps perdu dans la quotidienneté de cette guerre. De plus, il faut comprendre à quelle désespérance, ils avaient été poussés pour oser faire la guerre contre le plus riche et le plus puissant empire du monde. Il faut se souvenir que les Gueux des bois étaient des miséreux réfugiés dans les lieux les moins hospitaliers – comme le feront toujours partout les résistants du monde entier ; il faut se rappeler que les Gueux des mers étaient au début quelques dizaines de pêcheurs et de paysans sur de minuscules bateaux face aux « invincibles » armadas espagnoles et de plus, ils ne disposaient en propre d’aucun port où se réfugier. Ainsi, les pillages des biens ennemis étaient la reprise de ce qui avait été extorqué aux Pays.
Après ça, dit Lucien l’âne, tissons, nous aussi, le linceul de ce vieux monde rétrograde, disciplinaire, nationaliste, borné et cacochyme.
Heureusement !
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane