Berlin, mil neuf cent cinquante-trois, dit le narrateur,
Anna et moi, on avait pourtant du cœur.
Potsdamer Platz sous la pluie
On regardait flamber la Maison de la Patrie
Les chars s'infiltraient dans la foule ouvrière
Les fantassins russes creusaient la frontière
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
Sur le moment, on ne comprenait pas
Et puis, Anna la danseuse et moi
Moi, le poète compulsif, le sculpteur,
Nous deux, témoins de la mâle heure
On n'était pas des ouvriers en colère
On ne chassait pas les chars à coups de pierre.
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
Les ouvriers des chantiers de la Stalinallee
Ont tout bloqué, tout paralysé
Puis les chars sont arrivés
L'insurrection fut écrasée
Les morts de l'Est, les morts de l'Est
Les gens de l'Est, les petites gens de l'Est
Ceux des usines, ceux des quartiers
Par dizaines fusillés, lynchés, exécutés
Des milliers et des milliers
À Bautzen, au pénitencier
Un métro à l'heure de pointe... Plein
Rempli à ras bord de plébéiens
Berlin, mil neuf cent soixante-trois
Anna la danseuse et moi
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
On était là. Au théâtre, cette fois
Coriolan, Shakespeare et moi
Les plébéiens répétaient l'insurrection
Depuis, sur les autobahns de la consommation.
L'insurrection ouvrière en fête nationale maquillée
Tue et tue encore chaque année
Quarante ans plus tard encor,
Changement de décor
Les jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat.
L'histoire est surprenante parfois...
Anna et moi, on avait pourtant du cœur.
Potsdamer Platz sous la pluie
On regardait flamber la Maison de la Patrie
Les chars s'infiltraient dans la foule ouvrière
Les fantassins russes creusaient la frontière
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
Sur le moment, on ne comprenait pas
Et puis, Anna la danseuse et moi
Moi, le poète compulsif, le sculpteur,
Nous deux, témoins de la mâle heure
On n'était pas des ouvriers en colère
On ne chassait pas les chars à coups de pierre.
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
Les ouvriers des chantiers de la Stalinallee
Ont tout bloqué, tout paralysé
Puis les chars sont arrivés
L'insurrection fut écrasée
Les morts de l'Est, les morts de l'Est
Les gens de l'Est, les petites gens de l'Est
Ceux des usines, ceux des quartiers
Par dizaines fusillés, lynchés, exécutés
Des milliers et des milliers
À Bautzen, au pénitencier
Un métro à l'heure de pointe... Plein
Rempli à ras bord de plébéiens
Berlin, mil neuf cent soixante-trois
Anna la danseuse et moi
Mais, c'est sûr, on a vu ce qu'on a vu
On a vu ce qui est advenu
On était là, un peu à l'écart,
Seulement pour voir
On a tout vu sans broncher
Tout ce qui s'est passé
On était là. Au théâtre, cette fois
Coriolan, Shakespeare et moi
Les plébéiens répétaient l'insurrection
Depuis, sur les autobahns de la consommation.
L'insurrection ouvrière en fête nationale maquillée
Tue et tue encore chaque année
Quarante ans plus tard encor,
Changement de décor
Les jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat.
L'histoire est surprenante parfois...
Contributed by Marco Valdo M.I. - 2011/11/13 - 22:49
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Canzone française – La Chasse aux Chars – Marco Valdo M.I. – 2011
Histoires d'Allemagne 52
Au travers du kaléidoscope de Günter Grass. : « Mon Siècle » (Mein Jahrhundert, publié à Göttingen en 1999 –
l'édition française au Seuil à Paris en 1999 également) et de ses traducteurs français : Claude Porcell et Bernard Lortholary.
Mil neuf cent cinquante-trois, encore une fois Berlin... Un Berlin sorti de la guerre, un Berlin qui se reconstruit. Mais comme tu le sais, un Berlin divisé. L'affaire est racontée par le narrateur qui est témoin visuel de l'insurrection ouvrière qui a éclaté le 16 juin 1953... Comme tu le verras dans la chanson du jour, dans cette chanson d'Allemagne, il n'est pas sans intérêt de préciser qui est le narrateur et où il se situe dans cette histoire précisément. Le narrateur tel qu'il apparaît dans la chanson est Günter Grass lui-même et pour s'en convaincre il suffit de se reporter à l'Agfa-Box, roman finalement assez court où le même narrateur fait sa propre biographie et celle de ses familles successives. Quant à Anna la danseuse, venue de Suisse, elle fut également une de ses compagnes. Ainsi en va-t-il pour les « témoins » des événements ; quant à l'endroit d'où ils assistent à certains moments de cette insurrection, c'est très exactement la Potsdamer Platz, épicentre du séisme social et accessoirement, politique, qui va opposer les ouvriers de Berlin aux couches dirigeantes de la société. Il convient de préciser que les ouvriers qui affrontèrent les chars russes à coups de pavés (et autres objets utiles) avaient une ambition révolutionnaire pour l'ensemble de l'Allemagne... Que le Mur de Berlin fut la suite de leur insurrection est une évidence et que ce soit leur mouvement, poursuivi comme en souterrain, et qui comme la taupe sous la terre resurgit plus loin, qui finalement emporta les bureaucrates de la Démocratique, tu le conçois et c'est ce que dit le narrateur :
« Quarante ans plus tard encor,
Changement de décor
Sous nos yeux, à la danseuse et moi
Les jeteurs de pierre ont mis les chars hors de combat. »
Donc, si je résume, Günter Grass raconte en direct cette insurrection révolutionnaire des ouvriers de Berlin et la recadre dans le continuum de l'histoire... Mais peux-tu ajouter quelques détails et par exemple, pourquoi les ouvriers déclenchent ce mouvement....
Nous sommes le 17 juin, les chars entrent dans le débat et l'armée soviétique appelée au secours par les dirigeants du Parti Communiste de la RDA intervient rudement. On tire au canon dans Berlin et ensuite, le mouvement et la répression s'étendent ailleurs en Allemagne de l'Est. La répression, rends-toi compte de l'absurde de la chose – on se trouve en théorie dans un État qui se veut socialiste, la répression donc frappe les ouvriers qui ont déclenché les manifestations en raison de leur attachement au socialisme, en raison de leur propre volonté de réellement construire un vrai système socialiste. Et c'est précisément contre des mesures de rentabilisation, d'accroissement des cadences de travail, d'augmentation des prix que leur colère va exploser.
En somme, ils subissaient ce que subissent aujourd'hui les Grecs.
Et comme pour les Grecs, on va dévier leur insurrection et lui donner un sens qu'elle n'a jamais eu... Ces ouvriers ne souhaitaient pas ni à ce moment, ni plus tard quand ils mettront fin au régime des bureaucrates, ils ne souhaitaient pas tomber de Charybde en Scylla, basculer de l'imbécillité bureaucratique dans la misère capitaliste. Mais j'anticipe, comme le fait la chanson elle-même, sur les événements. Nous y reviendrons.
En fait, pour dire les choses comme tu l'avais indiqué dans une autre chanson que tu avais intitulée « L'Autre Côté du Mur »,
« On avait oublié que comme un mur
A deux côtés
Il faut abattre un côté, puis l'autre.
C'est la vie.
La dictature d'un parti a construit le mur
Les gens de là-bas l'ont fait tomber
Ils ont abattu un côté, on doit abattre l'autre
C'est la vie. »
Et cela, vois-tu Lucien l'âne mon ami, n'a pas encore eu lieu... Mais les événements ont changé de dimensions... On doit regarder cette histoire au niveau de l'Europe entière, qui est le nouveau territoire, le nouvel empire à discipliner...
Oui, oui, c'est toute l'Europe qui est maintenant le champ de manœuvres et il va s'agir, il s'agit déjà de la mettre au pas de la loi libérale : Arbeit macht frei ! Partout en Europe, sous la houlette « européenne », sous le couvert de réglementations communautaires, on impose la destruction des services publics, la privatisation de tous les secteurs, l'allongement de la durée du travail, le recul de l'âge de la retraite, la réduction des droits et des allocations sociales, la diminution des salaires, la précarisation des emplois, la généralisation de l'interim... Par parenthèse, c'était le programme de Mussolini dès les années 1920. Bref, on est en pleine offensive des riches dans cette Guerre de Cent Mille Ans qu'ils font aux pauvres pour renforcer leur domination, pour accroître leurs profits, pour étendre leurs privilèges, pour mieux asseoir l'exploitation, pour répandre la logique d'entreprise, pour imposer leur main-mise sur tous les secteurs de la vie...Voilà ce vieux monde dont il faut nous débarrasser... Tissons donc, Marco Valdo M.I. mon ami, le linceul à ce vieux monde trop libéral pour être honnête, radin, stupide et cacochyme.
Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.