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La Description du Monde

Marco Valdo M.I.
Langue: français



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La Description du Monde


La Description du Monde – Marco Valdo M.I. – 2010
Cycle du Cahier ligné – 92

La Description du Monde est la nonante et deuxième chanson du Cycle du Cahier ligné, constitué d'éléments tirés du Quaderno a Cancelli de Carlo Levi.

Ah, Lucien l'âne mon ami qui court au soleil dans les campagnes, vois comme est la condition du prisonnier, comment est le monde où il est condamné à doucement étouffer. Car s'il n'y prend garde, s'il ne trouve pas comme notre ami la parade d'un monde intérieur et inaccessible aux intrusions ennemies, c'est bien cela qui l'attend. Mourir à petits feux... Par suffocation. Telle est la description du monde de la prison.

C'est proprement horrible, dit Lucien l'âne aux yeux si grands qu'on voit tout le ciel dedans. J'en ai froid dans les os et même dans les oreilles. Finir, là-bas, finir ainsi... Même, nous les ânes, qui sommes durs à la peine, on ne le supporterait pas...

Mais regarde bien, Lucien mon ami, la plupart du temps, il ne faut pas, il ne faut même pas des supplices atroces, des tortures sanglantes, des douleurs brutales... Le monde de la prison est à l'image de la société qui l'abrite et qui le façonne. Il est tout en insignifiance, en presque rien, en une longue et étouffante immobilité, surtout ne pas faire de vagues. La règle est tout simplement la stagnation, comme mode lent de strangulation. C'est ce que ce monde applique aux prisonniers, mais aussi à tous ceux que ce monde exclut de ses fastes, de son « train de vie » (« way of live »)... C'est le destin réservé aux pauvres. C'est une manière de scinder le monde entre les gagnants (« winners » : les riches, les puissants) et les perdants (« loosers » : les pauvres, les faibles). La prison est le paradigme du système... Quand on étend le « système » à l'ensemble de la société (leur société, la société comme ils l'imaginent et comme ils veulent l'imposer à l'humanité), on obtient exactement çà : les riches d'un côté, avec leurs sbires, leurs larbins et de l'autre, les pauvres, les rejetés, les enfermés : en prison, à l'asile, au camp de travail, dans l'entreprise, au chômage, nulle part... L'essentiel est de les tenir calmes, d'empêcher toute révolte, tout changement, de protéger et de maintenir les privilèges et les fortunes.

Mais, dit Lucien l'âne, on dirait un épisode de la Guerre de Cent Mille Ans que les riches font aux pauvres, comme un moment de cette drôle de guerre où tout s'immobilise dans les tranchées. Quelle saloperie que ce monde cacochyme...

Mais, dit Marco Valdo M.I., en prison comme ailleurs, pour la survie – même simplement morale, pour le moral en quelque sorte – il est nécessaire de construire une résistance. C'est cela le sens du « Ora e sempre : Resistenza ! »... Quoi qu'il arrive, quelque destin qu'on te fasse, il faut résister, résister, résister. Maintenant, aujourd'hui et toujours (demain, après-demain...). Comme en prison, il y faut parfois de la patience : « Jour après jour, on nous réduit.
Nous tenons bon patients comme l'araignée
En tissant une toile serrée :
Le saint suaire du monde des puissants. »

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien Lane.
Monde engourdi de la prison,
Univers limité, sans relation.
Toutes nos heures sont feutrées
Le charabia des moteurs
Par les fenêtres fermées,
Étouffe dans la chaleur.
Nos jambes entravées de faiblesses,
De fatigues, d'incertitudes, de détresses
L'insignifiance est notre condition normale,
Nous souffrons de mollesse mentale.
Nous voyons entre les fleurs
Se ternir nos bonheurs.
Notre passé ne se perd pas
Mais bien pire, cette fois
L'ennemi vient de l'extérieur,
Du dessus et de l'intérieur.
L'ennemi est partout.
Se méfier aussi du dessous
Le temps est trop lourd à porter
On doit pourtant tout supporter.
Notre vie se resserre d'ennui.
La couleur s'habille de noir
Jour après jour, on nous réduit.
Nous tenons bon patients comme l'araignée
En tissant une toile serrée :
Le saint suaire du monde des puissants.
On ne voit ici que les carreaux du pavement
Et l'herbe entre les pierres.
Ici, il est conseillé de se taire.
Immobile parmi les choses,
Le temps fait déclore et faner les roses
De compromis en compromis
Ainsi se rétrécit notre infini.
Il est terrible de ne pas savoir
Si la soufrière cessera de bouillir
Si les cyprès redeviendront droits...
Un jour, pourtant, on va en sortir
Et revivre hors de cet endroit.

envoyé par La Description du Monde - 25/2/2010 - 12:47




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