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Interrogatoire

Marco Valdo M.I.
Langue: français



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Interrogatoire
 
Canzone léviane – Interrogatoire – Marco Valdo M.I. – 2009
Cycle du Cahier ligné – 49
 
 
Interrogatoire est la quarante-neuvième chanson du Cycle du Cahier ligné, constitué d'éléments tirés du Quaderno a Cancelli de Carlo Levi.
Tu sais, Lucien mon ami, comment ça va dans les guerres des hommes et même, dans les guerres qui n'osent pas dire leur nom, qui se cachent sous le nom de paix... C'est même l'état le plus constant de la guerre, c'est aussi l'état le plus sournois de la guerre de Cent Mille Ans que les riches mènent contre les pauvres. Le plus sournois puisqu'on fait croire qu'il n'y a pas la guerre, que parce que les armes n'entrent pas ouvertement en action pour tuer, conquérir, massacrer... les gens, il n'y aurait pas la guerre. Quelle blague ! Regarde bien, Lucien, seul un des deux camps détient les armes (toutes les armes, y compris des armes lourdes, des chars, des avions, des bombes et des armées professionnelles qu'il appelle police ou forces de l'ordre...) et impose ses façons et se dit légitime; c'est le camp des riches. Les riches tant qu'ils peuvent exploiter à leur aise, tant que les pauvres ne tentent pas de changer le monde, les riches n'ont aucune raison de faire parler les armes. La guerre est simplement silencieuse, elle se tient coite. Il n'y a pas besoin de combats pour qu'il y ait guerre; elle est même plus parfaite quand il n'y a même pas besoin de combats, car une des parties – la plus faible, est terrorisée au point de ne même pas oser protester ou contester l'ordre du plus fort. La domination et l'exploitation, c'est la guerre à l'état pur. Comprends-tu cela , Lucien ?

Je le comprends très bien et d'ailleurs, j'ai toujours connu ça, dit l'âne Lucien en soupirant avec conviction. Mais dans le passé, les armes étaient moins lourdes, moins perfectionnées... Les pauvres, les plébéiens pouvaient espérer mener à bien une insurrection. Et parfois même, ils ont réussi... Mais à présent, au moins dans les pays d' Europe, ils n'ont plus aucune chance; du moins, on veut leur faire croire. L'appareil du système est gigantesque et terriblement sophistiqué. Il parle par mille bouches, par ces milliards d'écrans (chaque écran est une arme...) qu'ils ont imposés partout. C'est un lavage de cerveaux quotidien. La terreur est une donnée disons instituée, institutionnelle et elle se renforce chaque jour. Les gens sont de plus en plus contrôlés et par tous les moyens et même avec de beaux prétextes : économie, santé, sécurité...

Voilà, je vois que tu en sais autant que moi sur le sujet. Mais la canzone parle d'un interrogatoire. Ce sont des pratiques courantes sous nos latitudes et certains des « interrogés » n'en sortent pas vivants. Ce fut le cas de Giuseppe Pinelli et de bien d'autres. Les fascistes, les franquistes, les salazaristes et les nazis l'ont pratiqué avec une certaine vigueur; comme tu le vois, ils ont fait des émules de nos jours. Donc, notre prisonnier-guerrier-blessé a lui aussi subi un ou plusieurs interrogatoires et il le raconte ici. Le but de l'interrogatoire, outre de terroriser celui qu'on interroge et au-delà, tous ceux qui le soutiennent, a comme fonction de soutirer certains renseignements ou certains aveux... Encore faut-il y arriver.

Je sais, je sais, dit Lucien l'âne en agitant la tête d'un air convaincu. D'ailleurs, ceux qui ont une tête d'âne savent souvent résister à pareilles épreuves.

Oui, Lucien, les ânes sont des animaux extraordinaires et jamais personne, même le Grand Inquisiteur, n'a pu faire parler un âne. Cependant, notre blessé-prisonnier-guerrier adopte une autre attitude. Il parle et il parle beaucoup, il dit énormément de choses, il raconte des histoires, il dit tout ce qu'on lui laisse dire, mais rien de ce qu'il sait qu'ils veulent savoir. C'était la méthode de Carlo Levi... Lequel durant le Ventennio a subi une série d'interrogatoires au fil de ses emprisonnements. On en a même retrouvé les traces dans les archives de la police fasciste, la sinistre Ovra. Par parenthèse, on a même retrouvé le nom de celui qui l'avait dénoncé – un lointain cousin, un écrivain de gare, un méprisable personnage, une ordure, le dénommé Pitigrilli, lequel se convertit sur le tard, dans les bras de Padre Pio. Comme quoi, la délation mène à tout, même sur le chemin ciel.

Ainsi Parlaient Marco Valdo M.I. et Lucien l'âne
J'écoute la pluie qui martèle le toit
Je ne vois rien, je ne bouge pas.
Des d'hommes se pressent autour de moi
Je ne dois pas dire certaine chose, ne rien révéler.
Pourtant, il me faut parler
Et je n'y arrive pas.
Les mots ne parviennent pas à sortir.
Ce n'est pourtant pas comme dans le Spitfire,
Où la voix était couverte par le fracas du moteur.
Il y a, à l'entour, un silence sidéral.
Qui m'englue d'une vilaine peur.
J'ai froid d'un effroi viscéral.
Les mots deviennent indicibles
Je reste sans mot soudain
Pris dans une trame invisible,
Ou quelque chose d'encore plus fin
De plus minutieux, comme un voile.
Je suis coincé dans la toile
D'une araignée
Patiente et obstinée.
J'essaye de chanter, de sourire.
Ni moi, ni aucun autre ne devrait trahir.
Pour mes interlocuteurs curieux,
Ce que je sais est infiniment précieux
Et à toutes forces, il me faut le taire.
Il me faut à cette police
Dire le rien avec des mots de terre,
Dire ainsi le silence face aux murs de silice.
Et je parle, je discours
Tant et plus, autour et alentour,
Tissant de mes mots enchantés
La toile infinie de l'inanité.

envoyé par Marco Valdo M.I. - 6/9/2009 - 23:17




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