Michel JONASZ
Toute une génération, en France, se souvient d'une chanson qui, dans les années 70, tranchait avec le répertoire de l'époque : on y entendait un jeune homme un peu plaintif raconter ses vacances d'enfant, au bord de la mer. Il suçait des glaces à l'eau, en regardant les bateaux ; et il ne restait guère de sous pour entreprendre des activités plus ambitieuses. C'est une image de Jonasz qui s'est perpétuée, même si le personnage a, depuis, évolué vers un style plus agressif et plus entraînant. Ce prince du swing a toujours ce petit côté nostalgique qui le rapproche de nous.
Né le 21 janvier 1947 à Drancy dans la banlieue parisienne, il est issu d'une famille d'origine juive hongroise. Son père est représentant de commerce et sa mère ne travaille pas. Michel et sa sour aînée, Evelyne vivent dans un environnement paisible. Le dimanche, ils vont, accompagnés de leurs parents, écouter de la musique tzigane chez leurs grands-parents, nostalgiques de leur pays d'origine. Lorsque Michel a dix ans, la famille déménage pour une autre banlieue de Paris, Porte de Vanves.
Rhythm'n'blues
D'abord attiré par la peinture, pour laquelle il prend des cours, il s'inscrit ensuite à un cours d'art dramatique dans une MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) où sa sour jouait déjà. En 1962, il quitte définitivement l'école, sûr que son avenir ne s'y trouve pas. Ses parents sont compréhensifs et ne l'obligent à rien. Il écoute beaucoup de musique : Brel, Brassens, les Chats Sauvages mais ce qui le fait vraiment vibrer, c'est le Rhythm'n'blues de Ray Charles. Grande découverte de ces années-là avec notamment le titre "What'd I say". Cela lui donne envie de se mettre à la musique et plus particulièrement au piano. Il intègre ainsi son premier groupe, Kenty et les Skykarks puis forme les Lemons, avec son ami d'enfance Alain Goldstein pour accompagner un chanteur noir marocain Vigon, lors de soirées dans des dancings ou clubs. Cela dure environ deux ans pendant lesquels le répertoire noir américain de l'époque est largement repris. C'est aussi à ce moment-là que Michel Jonasz commence à chanter.
En 1967, avec son ami Alain, Michel Jonasz enregistre un premier 45T sous le nom de King Set, nouveau groupe. "Apesanteur" est le titre principal (quatre titres en tout dont deux écrits par Michel Jonasz lui-même) et passe un peu à la radio. On remarque surtout sa voix. Après cela, le groupe éclate et Jonasz sort deux autres 45 T sous le nom de Michel King Set. En cette période de débrouille, il part en tournée avec le chanteur Christophe, comme pianiste-accompagnateur.
Le premier 45 T sous son propre nom, sort en 69 sans grand succès et s'intitule "Adieu la terre". L'année suivante, désireux de changer d'air, il se promène en touriste aux Etats-Unis et passe trois mois à Beyrouth au Liban. Il revient en France et commence à écrire pour d'autres chanteurs avec Alain Goldstein. En 71 et 72, sortent deux autres 45 tours dont le dernier "la Rencontre", est un relatif succès. Il est signé Jonasz et Goldstein pour la musique, Pierre Grosz, pour les paroles. Michel Jonasz fait ses débuts sur scène en solo et part en tournée avec la chaîne de radio française, Europe 1. Il fait aussi le lever de rideau du duo Stone et Charden, à l'Olympia, la célèbre salle de concert parisienne en 72.
En juillet 74, il enregistre son premier 33 T chez WEA. Il exige de la maison de disques d'être lui-même le directeur artistique, sachant précisément ce qu'il veut. La direction musicale est confiée à Jean-Claude Vannier qui signe tout de même les paroles et la musique de "Super Nana". Les autres textes sont signés par Frank Thomas. La musique, quant à elle, est signée d'Alain Goldstein, et de Jonasz pour le très beau titre "Dites-moi". Ces deux morceaux passent bien en radio, sans que les ventes ne décollent vraiment.
Décollage
Le second album de Michel Jonasz va lui permettre de s'affirmer comme véritable compositeur. La création musicale n'est pas soudaine chez le chanteur qui voit peu à peu les choses se mettre en place. La maturation est lente mais précise. Toutes les musiques de "Changez tout" qui sort en 75, sont de Michel Jonasz. Sans formation musicale, il commence à bien maîtriser les accords, les harmonies et autres rythmes. Il laisse pour l'instant l'écriture des textes à Jean-Claude Vannier car il ne se sent pas à la hauteur, même si cela le tente.
Il sort un an plus tard, un 45 T "Je voulais te dire que je t'attends" que le groupe américain Manhattan Transfer reprendra ainsi que la chanteuse canadienne Diane Dufresne. Cette chanson très mélancolique ne figure sur aucun album de l'artiste. Il enchaîne aussi sur une tournée d'été en première partie de Mireille Mathieu et une tournée d'hiver avec Véronique Sanson.
Le véritable tournant se situe en 77 avec la sortie de l'album sans titre pour lequel Michel Jonasz a écrit paroles et musiques. On y trouve "Du blues du blues du blues" et "J'veux pas qu'tu t'en ailles". Considéré par lui-même comme son premier véritable album, il avoue que l'écriture des textes a été motivée par l'absence de Jean-Claude Vannier avec qui il s'est fâché quelque temps auparavant. La maîtrise quasi totale de la conception discographique relève pour lui, de l'aboutissement personnel. Ce sentiment est conforté par son passage en vedette sur la scène du Théâtre de la ville à Paris, en novembre de la même année. L'énergie qu'il déploie le surprend lui-même. Le déclic a eu lieu, il se sent enfin à l'aise dans cet univers de la chanson qu'il a fréquenté depuis une dizaine d'années maintenant. Un enregistrement est réalisé à cette occasion et sort début 78.
La vie de Michel Jonasz commence à prendre une tournure un peu plus sûre : cette année-là, il va accumuler l'écriture des albums personnels de ses amis Alain Goldstein et Gabriel Yared, de celui de Françoise Hardy avec le titre "J'écoute de la musique saoule". La Sacem (Société des Auteurs Compositeurs Français) lui décerne le prix Raoul Breton. Et en fin d'année, il écrit son cinquième 33 T "Guigui" avec des titres qui sont devenus par la suite des classiques "Golden Gate", "En v'là du slow", "la Famille" et évidemment "Guigui". La collaboration avec Gabriel Yared devient plus intense et Michel Jonasz affirme son style désormais reconnaissable parmi tous. Année mémorable donc, puisqu'en plus d'une vie professionnelle chargée, un petit Florian, né le 3 août, vient confirmer le millésime remarquable de 1978.
Charles-Cros
L'année suivante, il débute comme comédien dans une pièce burlesque de Didier Kaminka "Toutes les mêmes sauf maman" à la Gaîté Montparnasse, petit théâtre parisien. Il avait auparavant joué un rôle secondaire dans un film de Jean-Michel Ribes "Rien ne va plus". Mais sa priorité reste la chanson. Il donne d'ailleurs un unique concert à l'Olympia le 21 mai qui est un véritable triomphe.
Ayant pris conscience que la musique et les mots étaient finalement la base de sa vie, Michel Jonasz enchaîne dorénavant les albums et la scène. En ce début de 1980, il passe à l'Olympia pendant une semaine en janvier et part en tournée, à la suite de la sortie de "les Années 80 commencent". Il reçoit aussi le prix de l'Académie Charles Cros. Durant l'été, il écrit la bande originale du film de Jacques Monnet, "Clara et les chics types". 1981 voit la sortie de "la Nouvelle vie". Pour ce septième album, Michel Jonasz fait appel à deux nouveaux orchestrateurs, Yvan Jullien et Michel Coeuriot. Que ce soient des chansons d'amour très expressives comme "J't'aimais tellement fort que j't'aime encore" et "les Fourmis rouges" ou des swings endiablés comme "Joueurs de blues", ses mélodies sont prenantes et captivent le public, qui d'ailleurs vient le voir nombreux lors de son passage à l'Olympia, durant deux semaines de mai. Il obtient en plus un premier disque d'or.
Jonasz, timide parmi les timides, déclare souvent que la comédie est pour lui non pas une thérapie comme certains pourraient le dire, mais simplement une façon de s'extérioriser, de se montrer tel qu'il est. Il décroche en 1982, un rôle dans le film d'Elie Chouraqui "Qu'est ce qui fait courir David" aux côtés de Francis Huster. Ne lachant pas complètement la musique pour autant, il sort un 45 T la même année "Lord have mercy" et fait une mini tournée en mars. Il écrit aussi pour Diane Dufresne, "Une toune qui groove" et pour Eddy Mitchell, "Lucille".
La liberté de travail qu'il a acquise depuis quelques années le pousse finalement à enchaîner les albums : c'est ainsi qu'en 83, sort "Tristesse" , avec "Minuit sonne", "Rock à gogo" et "Lucille" qu'il reprend à son compte. Les mêmes musiciens et les mêmes orchestrateurs accompagnent l'artiste. Il s'installe aussi durant une quinzaine de jours à l'Olympia avant d'entamer une grande tournée à travers la France, la Belgique et la Suisse. Il reçoit un disque d'or pour "Tristesse" alors que sort une compilation de ses succès de 74 à 80, qui sera lui aussi disque d'or l'année suivante. Une autre compilation sortira d'ailleurs, regroupant les plus grandes chansons de 80 à 84.
Palais des Sports
Mais l'album qui le propulse vraiment sur le devant de la scène s'intitule "Unis vers l'uni", qu'il dédie d'ailleurs à sa fille Anna qui vient de naître (novembre 84). De nouveaux musiciens arrivent, Jean-Yves d'Angelo aux claviers, déjà présent sur le précédent album participe plus directement et Gabriel Yared revient mettre son talent d'arrangeur au service de Michel Jonasz. Les radios passent sans discontinuer la chanson qui devient rapidement un tube, "La boîte de jazz". Ses influences musicales sont ici très nettes : le jazz bien sûr, "Ray Charles" sûrement; la "Bossa" aussi, relayés par "la FM qui s'est spécialisée funky". Le bonheur que le public éprouve en écoutant le disque se retrouve au moment de la série de concert à guichets fermés que Jonasz donne au Palais des Sports de Paris en 85 pendant trois semaines. Le spectacle, avec les frères Simms dans les chours, donne lieu à un enregistrement sur disque. Il enchaîne évidemment une tournée et va même pour la première fois jusqu'au Québec. Il est récompensé à trois reprises lors des Victoires de la Musique comme interprète de l'année, meilleure chanson avec "la Boîte de jazz" et meilleur réalisateur d'album. Voilà donc la consécration qu'il n'avait pas l'air d'attendre et qui pourtant récompense de nombreuses années de labeur.
Poète juif
A peine les dernières chansons écrites, enregistrées et produites sur scène, Michel Jonasz que l'inspiration ne lâche pas, imagine d'ores et déjà, ce que va être la suite de ses créations. Mais toujours attiré par le cinéma, il accepte le rôle que lui propose Frank Cassenti dans "Le Testament du poète juif assassiné" d'après le roman d'Elie Wiesel, entreprise dans laquelle il s'investit beaucoup. Le film tourné en 1986, ne sortira que deux ans plus tard. Jonasz fait alors une pause professionnelle et entreprend des voyages en Chine et en Inde, y faisant à l'occasion des retraites.
En 1987, l'artiste crée dans la ville de Caen un spectacle avec de nouvelles chansons que nul n'a entendues : "La Fabuleuse histoire de Mister Swing". Il met en scène la vie d'un musicien qui devient son double aux yeux du public. Il va évidemment le jouer au Casino de Paris pendant un mois et part en tournée. Il revient à nouveau à Paris en janvier et février 88 et enregistre le spectacle qui donne lieu à un double live. Ce disque se verra décerner la Victoire de la musique pour le meilleur spectacle de l'année. Souvent sollicité pour participer à des ouvres humanitaires, il chante à Bercy pour soutenir l'organisation des droits de l'homme, Amnesty International. Il est entouré le 4 et 5 septembre 87 de Peter Gabriel, Sting et Tracy Chapman.
Fidèle en amitié, il compose en 89 pour Elie Chouraqui la musique de son film "Miss Missouri", juste après une tournée difficile sur le continent africain
Retrouvant la même veine d'inspiration que pour "Unis vers l'uni", Michel Jonasz sort un nouvel album, "Où est la source ?", en 1992. Au delà du swing, véritable marque de fabrique de l'artiste ("Groove Baby Grooove"), il navigue ici dans les hautes sphères de la galaxie, tutoyant presque les étoiles. Devenu quasiment mystique, il compose des mélodies claires et ses textes nous font prendre de la hauteur comme dans le titre "Où est la source ?" . Enregistré à Los Angeles, il a fait appel aux plus grands musiciens californiens. La production est impeccable, comme l'est d'ailleurs le spectacle au Zénith qui dure trois semaines en novembre de la même année. Il est accompagné par Jean-Yves d'Angelo aux claviers, Steve Gadd à la batterie, Abraham Laboriel à la basse et Luis Conte aux percussions. Tous joué avec des grands noms de la musique anglo-saxonne. Il part ensuite en tournée jusqu'en 1993 et sort un enregistrement live.
Par ailleurs en septembre, Michel Jonasz participe à un concert de soutien à l'Olympia au profit de Sol En Si (Solidarité Enfant Sida). Il renouvellera cette expérience en juin 97 avec une tournée à la clé.
Installé sur les bords de Marne (région parisienne) depuis plusieurs années, Michel Jonasz vit paisiblement entouré de sa famille. Militant pour la "contagion de la joie" comme il le dit lui-même, cette artiste complet s'est sans doute longtemps cherché pour avoir maintenant la satisfaction d'avoir enfin trouvé sa place, à la fois personnellement et professionnellement.
Mélancolie, toujours
Trente ans de métier et cinquante ans au compteur de la vie, Michel Jonasz parvenu depuis longtemps au sommet de son art, sort un nouvel album en 96 "Soul Music Airlines". Toute son "âme" (traduction littérale du mot anglais soul) transparaît ici. S'exprimant sur ses sentiments intimes, il écrit "Ado" et "Hannah" dédié à sa fille. Les voyages sont aussi une source d'inspiration pour lui. Véhiculant une certaine idée du bonheur et en même temps quelque nostalgie, l'artiste perpétue les recettes de son succès tout en donnant le meilleur de lui-même. Il enchaîne comme d'habitude les tournées et se produit au Casino de Paris en février 97.
Pendant de longs mois, Michel Jonasz est sur les routes, sur les scènes et face à son public. En 1999, il retrouve les caméras pour un téléfilm "Fugues" de Marion Sarraut et un long métrage avec Jeanne Moreau, "Lisa" de Pierre Grimblat.
Quatre ans après "Soul Music Airlines", l'auteur de "la Boîte de jazz" sort un treizième album studio le 25 avril 2000, "Pôle Ouest". Très vite écrit, cet album est enregistré chez le chanteur, dans son home-studio du Marais au cour de Paris. Conçu en solitaire et avec une petite équipe, ce disque rappelle ses débuts. Soul, jazz, swing, tout y est, enveloppé d'une mélancolie qui est aussi sa signature.
Dès la rentrée d'automne, il se lance dans une lourde tournée de 200 dates avec un passage de trois semaines sur la scène de l'Olympia qu'il retrouve en juin 2001. Son tour de France le mène jusqu'aux festivals d'été en juillet (Francofolies de La Rochelle, de Spa, de Montréal).
Où vont les rêves ?
Le temps de sortir "Olympia 2000" et un coffret anthologie de 46 titres, Michel offre à son public onze nouvelles chansons en novembre 2002 : "Où vont les rêves", enregistré en quatuor (Steve Gadd à la batterie, Étienne Mbappé à la basse et Lionel Fortin au piano), est un bon cru, où le chanteur évolue de la nostalgie ("Vieux style", "Grand-père", "Mélancolie") au swing ("Le rhythm and blues"). En 2004, sa maison de disques EMI ne renouvelle pas son contrat mais Michel Jonasz continue de tourner, le public est toujours là.
Par ailleurs, il poursuit sa carrière cinématographique. En 2003, sort "Le tango des Rashevski" de Simon Rashevski. Les deux années suivantes, il est au générique d'un certain nombre de téléfilms dont "Dalida" de Joyce Bunuel dans lequel il interprète le patron de l'Olympia, Bruno Coquatrix.
En mars 2005, le chanteur publie un nouvel album (sans titre). La pochette est sobre. Parmi la vingtaine de chansons qu'il a accumulée, il en choisit douze. Des titres entre nostalgie (comme "Le dîner s'achève") et swing (comme "J'ai swingué toute la nuit"). Un cocktail souvent éprouvé et dont les aficionados ne se lassent pas. Le premier simple s'intitule "La femme du parfumeur". Une tournée suit qui passe par le Casino de Paris du 19 au 30 avril.
Juin 2005
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